Stratégie et tactique dans les semi-colonies

Dans les semi-colonies du Tiers Monde, des millions de personnes se voient niées leurs libertés fondamentales. Dans les pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique Latine et de l’ex-URSS, l’indépendance nationale est réduite à une fiction, les vraies décisions économiques étant prises par les institutions financières internationales et par les multinationales. Si ces pays s’éloignent de la voie du « libre marché », ils font l’objet de pression voire d’attaques des Etats-Unis et de leurs alliés impérialistes. On nie la terre aux paysans ainsi que les marchés pour leurs produits. Partout les droits démocratiques sont niés, notamment celui de vote, la liberté d’expression et celle d’organisation. Après des décennies de politique économique néolibérale, la majorité des nations de la planète sont condamnées à un cruel sous-développement.

Les classes capitalistes des pays semi-coloniaux ne peuvent diriger un mouvement pour la libération de ces nations du contrôle impérialiste mondial. Elles sont trop faibles et trop corrompues pour le faire. Elles sont liées à l’impérialisme par des milliers de liens économiques et personnels. Aux dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, les capitalistes ont mené de puissantes révolutions afin de libérer des nations comme l’Angleterre, la France ou les Etats-Unis pour développer l’économie capitaliste. Au vingt-unième siècle la bourgeoisie semi-coloniale est trop faible pour diriger sa propre révolution nationale. C’est la tâche d’une autre classe de diriger celle-ci, une classe qui n’a aucun intérêt à maintenir la domination impérialiste : la classe ouvrière et ses alliés dans la paysannerie pauvre. L’histoire tragique des échecs des révolutions dans les cent dernières années ne fait que confirmer ce point central de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky.

Ayant refusé d’exproprier les compagnies, les banques et les terres de la bourgeoisie « nationale » ainsi que de la bourgeoisie impérialiste, ayant refusé de satisfaire les revendications de la paysannerie pauvre et sans-terre, les dirigeants des révolutions au Nicaragua, Zimbabwe et Philippines dans les années 1970 et 1980 ont laissé ces pays dans une position de prostration face à la puissance économique et militaire de l’impérialisme. Même en Birmanie, Egypte, Irak et Lybie, où des régimes militaires ont nationalisé l’économie et créé des infrastructures de propriété étatique dans les années 1950 et 1960, ils n’ont pas réussi à rompre les chaînes économiques qui attachent ces pays à l’impérialisme. La stagnation née de l’autarcie, une dette extérieure croissante, la réémergence d’une bourgeoisie nationale à l’extérieur du secteur étatique : tous ces facteurs ont contribué à repousser en arrière ces pays dans la voie de la subordination et de la surexploitation.

Il n’y a que là où le capitalisme a été complètement éradiqué (Chine, Corée du Nord, Cuba, Vietnam), que les révolutions ont pur remettre en cause la mainmise de l’économie mondiale impérialiste sur ces pays. Mais sans la démocratie des conseils des ouvriers et des paysans pauvres, et avec des dirigeants opposés à l’extension de la révolution partout dans le monde, ces pays étaient condamnés à revenir en arrière au capitalisme et à la subordination à l’impérialisme.

L’expropriation des industries les plus importantes, des banques et des entreprises financières, l’imposition d’un monopole étatique stricte sur le commerce extérieur, des efforts soutenus pour élargir la révolution internationalement, voilà les premiers pas de toute révolution victorieuse dans un pays semi-colonial.

Un siècle de lutte anticoloniale et anti-impérialiste a prouvé mille fois que seul le prolétariat, mobilisé par de conseils ouvriers et une milice ouvrière, peut mener à bien ces tâches d’une manière cohérente et progressiste. Dans ce processus, la classe ouvrière doit rassembler des millions des paysans et de semi-prolétaires dans la lutte pour l’indépendance nationale, pour la révolution agraire et pour toutes les libertés démocratiques des masses.

Face à l’agression militaire des Etats-Unis ou d’autres puissances impérialistes, la classe capitaliste nationale est parfois forcée de résister, comme en Irak en 2003. Dans des pays auxquels est nié même un simulacre d’indépendance, comme en Palestine ou en Tchétchénie, des forces bourgeoises peuvent prendre la direction du mouvement de libération nationale. Dans ces deux cas, la tâche de la classe ouvrière n’est pas de rester à côté de la lutte mais d’y participer avec la dernière énergie. Des accords temporaires peuvent être conclus avec des forces nationalistes bourgeoises et même islamistes. En effet, la classe ouvrière doit appeler activement à un front unique de toutes les forces – travailleurs, paysans, petit-bourgeois et même nationalistes bourgeois – contre l’impérialisme.

Mais la classe ouvrière ne cesse jamais son combat contre les capitalistes et les propriétaires terriens. La classe ouvrière ne doit jamais se dissoudre dans un mouvement bourgeois ou se subordonner à une direction bourgeoise ou petite-bourgeoise. La classe ouvrière doit toujours et partout combattre pour se constituer comme force indépendante, avec sa propre organisation et un programme qui exprime ses propres intérêts. Appelant à un front unique anti-impérialiste tout en préservant toujours son indépendance de classe, la classe ouvrière doit toujours lutter pour se mettre à la tête de la lutte nationale. Elle doit toujours exiger des ses « alliés » bourgeois peu fiables qu’ils aillent plus loin de ce que commandent leurs étroits intérêts de classe, qu’ils rompent tout lien avec le capital impérialiste, qu’ils mettent fin à toute restriction aux organisations ouvrières, qu’ils arment les masses et qu’ils mobilisent le peuple.

La classe ouvrière mettra en avant ses propres méthodes de classe pour la lutte de masse comme les moyens les plus efficaces pour chasser les impérialistes, mais elle ne s’arrêtera pas à cet objectif. Refusant avec mépris toute proposition de gouverner en coalition avec la bourgeoisie, le parti ouvrier organisera les conseils ouvriers et paysans et les milices et effectuera un transfert de pouvoir dans les mains des ouvriers et des paysans. Pour les communistes révolutionnaires, le front unique anti-impérialiste n’est jamais une stratégie en soi. Il s’agit d’une tactique : une étape sur la voie non seulement de la défaite de l’impérialisme mais du renversement de la bourgeoisie nationale. En résumé, seule la classe ouvrière peut rendre permanente la révolution démocratique nationale, en complétant la reconstruction révolutionnaire de la nation sous sa propre direction.

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