Les postes les plus élevés des syndicats ne sont pas simplement contrôlés par des mauvais dirigeants. Les permanents constituent une caste conservatrice, une formation sociale distincte avec ses propres intérêts, séparés et opposés aux intérêts de la majorité des syndiqués. Au lieu d’être sous le contrôle des adhérents, les permanents contrôlent l’appareil et par lui ils contrôlent les adhérents. Voilà ce que signifie le mot bureaucratie : le pouvoir de ceux qui détiennent une position dans l’organisation.
Les bureaucrates doivent leurs privilèges à leur rôle de négociateurs avec les capitalistes. Ils ont un salaire plus élevé que le salaire moyen des syndiqués et ils obtiennent aussi le droit d’entrer dans les cercles magiques de la bourgeoisie et de la vie publique. Il en résulte que cette bureaucratie a partout tendance à s’accommoder politiquement avec le système capitaliste et est souvent incorporée dans les échelons les plus bas de l’Etat capitaliste. Elle agit au sein de la classe ouvrière pour le compte du capital comme le garde-chiourme syndical des salariés.
Aux travailleurs elle prêche une ligne réformiste qui laisse les leviers fondamentaux de l’exploitation et du contrôle dans les mains de la bourgeoisie. Quand le mécontentement ouvrier éclate, les bureaucrates essayent de calmer le jeu et d’éviter une action militante.
Quand la patience des travailleurs est épuisée, les dirigeants syndicaux peuvent à contrecœur permettre l’action afin de ne pas perdre leur soutien. A ce moment-là, ils parlent haut et fort, parfois avec des phrases radicales. Dans le même temps, ils limitent l’action à des protestations symboliques, à des grèves d’un jour ou à une série de débrayages. L’effet est d’épuiser et de démoraliser les activistes, préparant la voie à un accord négocié qui ne satisfait pas les revendications des travailleurs.
En réponse, les travailleurs militants chercheront à remplacer ces dirigeants, en en élisant d’autres qui promettent de s’opposer de façon plus sérieuse aux employeurs. Même quand des dirigeants de l’aile gauche se positionnent sur une ligne anticapitaliste ou poussent à des actions de grève illimitée, ils tendent partout à laisser intact le pouvoir de la caste des bureaucrates. Les travailleurs ne peuvent que faire confiance au courage et à l’incorruptibilité d’un seul individu, en plus un individu qui sera placé inévitablement sous une terrible pression des employeurs et de toute la société bourgeoise. Les exemples abondent de ces dirigeants de gauche s’effondrant dans le vif de la lutte.
Même quand ces dirigeants sont obligés de lutter, ils refusent d’appeler les travailleurs des autres industries à court-circuiter les dirigeants des autres syndicats et à organiser des actions de solidarité. Remplacer des bureaucrates de droite par des bureaucrates de gauche, même si cela représente un pas en avant, est donc cruellement insuffisant. Si les racines de la bureaucratie ne sont pas éliminées, nous ne pouvons pas récupérer le contrôle des nos syndicats et pousser les luttes syndicales jusqu’à la victoire.
La bureaucratie n’est pas un phénomène accidentel ni une imposition de l’extérieur sur les syndicats. Sa base sociale réside dans l’émergence d’une aristocratie de travailleurs spécialisés. Dans beaucoup de pays, les syndicats organisent surtout les travailleurs spécialisés et les secteurs de la classe ouvrière mieux payés et avec des conditions de vie moins précaires. Cela parce que ces travailleurs ont un pouvoir de négociation plus grand par leur concentration dans de grandes entreprises et par leur niveau plus élevé d’instruction et de formation. Mais ces forces sont souvent combinées avec le corporatisme, une conscience catégorielle et un manque d’intérêt pour l’ensemble de la classe ouvrière. Ces influences peuvent mener les syndicats à poursuivre seulement leurs intérêts spécifiques, au corporatisme et à une conscience étroite et de branche. Ces pratiques et attitudes forment une base solide pour les privilèges de la bureaucratie syndicale.
Cette bureaucratie ne disparaîtra pas du jour au lendemain l’autre mais elle peut être renversée en organisant la base afin d’exercer son contrôle, en mobilisant non seulement les secteurs spécialisés mais aussi les secteurs pauvres, peu payés et opprimés des travailleurs et par une lutte politique intense.
La caste bureaucratique n’est pas seulement dépourvue de volonté de lutter, elle est aussi dépourvue de théorie. En l’absence de toute analyse du capitalisme comme système, elle n’est pas capable de comprendre ou d’expliquer pourquoi les capitalistes doivent continuellement attaquer le niveau de vie des travailleurs, pourquoi chaque réforme que nous obtenons est tout de suite attaquée par la bourgeoisie, qui est déterminée à revenir en arrière, pourquoi les impératifs de l’accumulation du profit exigent que les patrons compriment la part du produit social des travailleurs.
Donc, quand les patrons affirment que les revendications des travailleurs détruiraient une entreprise en la rendant non profitable, les bureaucrates peuvent seulement avouer leur impuissance ou mettre en garde les travailleurs afin qu’ils limitent leurs revendications. Quand les patrons arguent de la mondialisation pour délocaliser la production là où le travail est moins cher, les bureaucrates trop souvent dérapent dans la démagogie nationaliste au lieu de mobiliser la solidarité internationale des travailleurs.
Sans une théorie du capitalisme, les bureaucrates adoptent rapidement et sans trop y réfléchir …la théorie des capitalistes.
A la différence des bureaucrates, les syndiqués de base n’ont aucun intérêt objectif à maintenir le système de l’exploitation capitaliste. Au contraire, pour échapper à la corvée épuisante des batailles constantes sur les salaires et les conditions de travail, il faut abolir le système d’exploitation représenté par le travail salarié et le capital.
Les bureaucrates syndicaux sont des agents des capitalistes, mais ce sont des agents qui agissent au sein du mouvement ouvrier. Le rôle exceptionnellement dangereux et nuisible qu’ils jouent exige en réponse une bataille exceptionnellement sérieuse et prolongée de la part des travailleurs.
Dans la troisième section de ce manifeste, nous examinerons quelle forme peut prendre cette lutte. Pour l’instant nous nous limitons à résumer ses objectifs : reconquérir les syndicats comme outils de la lutte des travailleurs ; organiser dans les syndicats les masses non organisées à travers une politique de lutte de classe militante ; remplacer les dirigeants malléables par des activistes éprouvés de la lutte de classe ; mondialiser les organisations syndicales à travers des pactes réciproques de solidarité ; démocratiser les syndicats afin qu’ils servent uniquement les intérêts des travailleurs et qu’ils ne soient pas des outils de contrôle dans les mains des employeurs.
Ces objectifs peuvent être exprimés en un seul mot d’ordre : dissolution de la bureaucratie syndicale.