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France: La lutte contre la reforme des retraites à un tournant

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Le mouvement de lutte contre la reforme des retraite est à un tournant, après deux mois d’action de masse qui non seulement ont appris ce qu’est la peur à Macron, mais qui sont aussi devenus une source d’inspiration pour des millions des personnes à travers l’Europe. Le gouvernement et les attaques qu’il essaye d’imposer sont toujours impopulaires et même haïs. Macron, l’autoproclamé « roi soleil » d’un néo-libéralisme « humaniste » révèle encore une fois son visage anti-ouvrier. Tous les sondages montrent que ses « reformes » continuent de rencontrer un rejet massif de la majorité de la population.

Des centaines de milliers de personnes, si ce n’est de millions, continuent de participer aux journées d’action et aux grèves appelés par les syndicats. Les manifestations révèlent non seulement la rage et l’indignation mais aussi la détermination, le dynamisme, la créativité et la combativité de la classe ouvrière. Depuis le début de décembre, les grévistes de la SNCF et du métro ainsi que les enseignants ont montré qu’on peut pousser Macron et son gouvernement dans la défensive et qu’ils pourraient même être renversés si la classe ouvrière mettait toute sa force de combat dans la balance.

Des millions de salariés de tous les secteurs de l’économie, des lycéens, des étudiants, certains gilets jaunes, les vieux comme les jeunes, considèrent la grève comme leur cause, montrent leur solidarité dans les journées d’action ou par des dons aux grévistes qui tiennent bon depuis des semaines. Plus que dans d’autres grèves, l’opposition contre la reforme des retraites est soutenue par en bas, par les travailleurs de base, et ainsi elle illustre la force qui vient de la spontanéité de la classe ouvrière. Au même temps, toutefois, les faiblesses et les problèmes du mouvement sont aussi évidents. Ici nous allons brièvement les décrire pour voir comme ils peuvent être surmontés.

La suspension du mouvement de grève

Aujourd’hui, la défection de certains syndicats dont la CFDT rend encore plus grave un problème majeur du mouvement : il s’agit du fait qu’il n’y a pas eu depuis des semaines de nouveau secteur qui se soit mis en grève.

Le 20 janvier, une majorité des AG a finalement décidé de suspendre la grève dans les transports. La grève reconductible s’est ainsi arrêtée et depuis ne reprend que lors des grandes journées d’action. Même si cette tactique a conduit à des grèves d’un jour et à des manifestations de masse avec plus d’un million de travailleurs, elle ne peut pas cacher le fait que le mouvement n’arrive plus à utiliser son moyen de lutte le plus efficace et puissant contre le gouvernement.

L’épuisement des sections les plus militantes de la classe ouvrière ne doit pas surprendre après une grève aussi longue. Au contraire, ils doivent être fiers d’avoir tenu bon pour une période aussi longue. Mais une attaque politiqué générale de la part du gouvernement ne peut pas être repoussée si le front de grève est limité à l’avant-garde de la classe et si aucun nouveau secteur ne rentre dans la lutte.

Le rôle de la bureaucratie syndicale

La question se pose donc de pourquoi il n’a pas été possible d’étendre la grève. Les appels à des actions comme les blocages, les occupations etc. de la part des groupes radicaux ou plus militants n’ont pas manqué. Nombre des militants dans les AG ont fait pression en ce sens et de façon répétée. Pendant les manifestations de janvier, le mot d’ordre de « grève générale » était très populaire, ce qui montre que la base du mouvement est en train de chercher une solution à ce problème.

Afin de comprendre pourquoi la grève n’a pas été élargie, nous devons comprendre le rôle de la direction syndicale qui, malgré la dynamique de la base, avait et a encore les rênes du mouvement.
A la différence des briseurs de grèves de la CFDT, la plupart des confédérations ont rejeté les « offres de négociation » du gouvernement. L’intersyndicale qui regroupe la CGT, FO, FSU, Solidaires, FIDL, MNL, UNL et l’UNEF, donne le tempo au mouvement et détermine les journées d’action. Elle a espoir que la poursuite des manifestations de ce type persuadera le gouvernement à céder.
Mais déjà au début du mouvement, le rôle de la bureaucratie de ces syndicats et de leurs directions est devenue visible de plusieurs façons.

D’abord, la plupart des fédérations n’ont pas entraîné leur propres adhérents dans la grève au-delà des secteurs qui étaient déjà en grève. Une fédération comme Force Ouvrière, la troisième la plus importante dans le pays après CGT et CFDT, n’a fait quasiment rien pour élargir la grève aux secteurs où elle est implantée.

En fait, seulement une partie des forces de l’intersyndicale était en grève, c’est-à-dire CGT, SUD et la FSU. Et même la CGT n’a pratiquement pas appelé à la grève illimitée ses adhérents au-delà du secteur des transports (et de quelques autres comme la chimie et les ports).

De plus, même les syndicats de gauche les plus actifs, et surtout la direction de la CGT, se sont abstenus de critiquer ouvertement ceux qui n’étaient pas en grève illimitée, de faire des appels clairs à la lutte aux travailleurs qui n’étaient pas en grève, et de s’adresser non seulement aux autres directions syndicales mais aussi à la base. Il y avait, et il y a toujours, une espèce de pacte de non-agression entre les directions syndicales, et cela allait jusqu’à la CFDT dans la période ou celle-ci soutenait formellement la lutte.

Cette politique reflète les objectifs et les tactiques des directions syndicales, y compris de celle qui joue un rôle guide, la CGT. Celle-ci organise sans doute les secteurs les plus importants et les plus militants des grévistes dans les transports.

Malgré toute sa rhétorique militante, la direction de la CGT (et avec elle toute l’intersyndicale) a mené la bataille contre la reforme des retraites non comme une lutte de classe politique contre le gouvernement, mais comme un conflit de type syndical et donc économique, même si elle l’a fait de façon très déterminée.

Finalement, les dirigeants de la CGT aussi espéraient de pouvoir imposer au gouvernement par le biais de l’action une « vraie » négociation. Au contraire, le gouvernement, Macron et avec lui toute la classe dirigeante française, mènent cette bataille pour ce qu’elle est vraiment, une lutte de classe qui n’a pas pour seul but d’imposer des réductions massives des retraites, mais qui veut aussi modifier de façon radicale et permanente le rapport de force en leur faveur.

Les directions syndicales n’étaient pas préparées à faire face à la contre-offensive du gouvernement (y compris la division du front syndical, le recours à la répression policière etc.) non simplement du fait de leur naïveté, mais parce qu’elles veulent éviter une bataille politique décisive contre le gouvernement. Parce que précisément cette bataille conduirait probablement à un élargissement de la grève en grève générale politique, et finalement à une grève générale illimitée.

Que faire ?

Toutefois la ligne des directions syndicales est facilitée par la faiblesse politique de la base. Même si celle-ci est très militante, elle aussi au fond considère cette lutte comme une lutte syndicale et non comme une bataille politique. Cela est clair dans le fait que la direction politique du mouvement est restée apanage de l’intersyndicale.

En effet, les AG n’ont jamais pu prendre la direction du mouvement. Seulement une minorité d’entre elles a élu des comités de grève. Il n’y a pas eu de coordination entre différents sites, à part quelques exceptions, et souvent les AG se limitaient à écouter le rapport des représentants syndicaux et à voter leur proposition de reconduire la grève. Au niveau régional et surtout national, il n’y a pas de direction alternative à celle de l’intersyndicale, largement dominée par la CGT.

Malgré la méfiance de la base envers la direction, et malgré la fierté dans l’indépendance de chaque AG, croire qu’il existe un mouvement sans direction n’est qu’un mythe. L’autonomie et l’indépendance de chaque AG signifie seulement que la vraie direction, l’appareil syndical contrôlé par la CGT, fait semblant de laisser à la base la tâche de prendre de décisions difficiles. Ainsi la direction de la CGT peut nier toute responsabilité dans la décision de suspendre la grève et se cacher derrière les décisions des AG qu’elle « respecte ».

L’ironie tragique de tout cela est que l’emprise de la bureaucratie sur le mouvement n’est pas éliminée par l’apparente indépendance des AG, mais seulement rendue moins visible, moins ouverte et donc plus difficile à combattre.

Pour toutes ces raisons, il est nécessaire aujourd’hui de soulever deux revendications clés :

- Exiger des directions syndicales un élargissement consistent de la lutte, jusqu’à une grève générale politique pour repousser les attaques ;

- Exiger l’élection de la part des AG de comités de grève et leur coordination dans des directions locales, régionales et nationales qui soient responsables devant la base. Ces comités peuvent créer des liens entre les travailleurs en lutte et développer un plan de mobilisation pour faire redémarrer la grève.

Aujourd’hui, la tactique des directions syndicales de mobiliser régulièrement les travailleurs par des journées d’action reflète la combativité toujours présente de la classe ouvrière. Toutefois il y a aussi le risque que le mouvement s’épuise dans des journées d’actions stériles. Il faut s’appuyer au contraire sur ces journées d’actions pour que le mouvement regagne force et confiance, et s’en serve comme des pas vers une nouvelle phase de mobilisation, et vers la préparation d’une grève générale illimitée.

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